Par un arrêt de la Cour d’assises de Paris, la chambre d’appel vient de condamner M. Philippe Hategekimana Manier, alias Biguma, à la réclusion criminelle à perpétuité pour des faits liés au génocide des tutsi en 1994 pour lesquels il est jugé depuis le 04 Novembre dernier. Sans un mot pour le massacre de Karama, comme en instance! Et une question se pose: le massacre de Karama peut-il faire l’objet d’un procès?
Au terme de trente jours d’audience, plus de 260 heures de débat et près de douze heures de délibéré, avec 66 témoins et parties civiles entendus, le jury a reconnu M. Philippe Hategekimana Manier, alias Biguma, coupable de « quasiment tous les chefs d’accusation »: « génocide », « crimes contre l’humanité », « complicité de crimes contre l’humanité » à travers les massacres des collines Nyabubare et Nyamure, le meurtre de plusieurs personnes dont le bourgmestre Nyagasaza et l‘érection de barrages routiers à Nyanza et ses périphéries. Il est par ailleurs acquitté d’avoir lui-même participé à des réunions en vue de commettre des crimes de génocide et crimes contre l’humanité.
Pour motiver sa décision, explique David Grandperrin-Luna, un juriste stagiaire à RCN Justice et Démocratie qui a suivi le procès, « la Cour a notamment insisté sur la gravité absolue des crimes pour lesquels Philippe MANIER a été jugé coupable. Elle a par ailleurs établi que l’action de BIGUMA lors du génocide avait été déterminante dans l’ampleur des massacres à NYANZA et qu’il avait agi en tant que « bras zélé » de l’idéologie génocidaire à l’échelle locale.»
Des réactions mitigées chez les victimes
Si la condamnation confirmée de Biguma suscite satisfaction chez les victimes de Nyanza, en général, les réactions sur place à Karama, sud du Rwanda, sont plutôt mitigées: la joie, la désolation et l’ incertitude se dépatagent les coeurs des survivants et victimes. « Ce qui nous arrive est injuste. Ne pas juger Biguma pour le massacre de Karama, c’est du mépris affiché pour des milliers des nôtres qui y ont été lâchement massacrées. C’est en rajouter à notre douleur », déplore, en larmes, une rescapée violée sur les lieux et qui y a perdu toute sa famille.
Comme au premier degré, en effet, la Cour d’assises de Paris a pris une décision judicieuse, certes, mais désobligeante pour les victimes et parties civiles au procès: l’accusé ne sera ni jugé ni interrogé sur le massacre de la colline de Karama, mais les témoignages des victimes y relatifs seront entendus en guise d’information.
Une avocate du CPCR et de certaines parties civiles au procès, Me Domitille Philippart, voit ces doléances sous l’angle de la réparation. «Ne pas juger M. Hategekimana pour l’attaque de la colline de Karama signifie que les parties civiles ne peuvent pas demander d’indemnisation pour les dommages subis lors de l’attaque de cette colline (à titre personnel ou pour la perte de proches)», explique-t-elle. Cependant, précise l’avocate, la plupart des parties civiles à ce procès ont perdu des proches à plusieurs endroits dans la Sous-Préfecture de Nyanza [ndlr. Nyabisindu], et « pourront donc demander réparation pour les attaques pour lesquelles M. Hategekimana est jugé et condamné.»
Une nouvelle plainte est possible!
Les villageois de Karama, du secteur administratif de NTYAZO [l’ancienne commune de feu Nyagasaza], au sud du Rwanda, se souviennent. C’est avec amertume et serrement de coeur qu’ils parlent de Biguma et du massacre de Karama. « Des crépitements de fusils d’assaut et de l’artillerie lourde, des lambeaux de chair humaine mêlés à ceux du bétail des Tutsis. Des cris de désespoir et d’agonie. De l’enfer sur terre ou tout simplement une vision de fin du monde.», raconte Sarah, une des rares personnes survivantes du massacre de Karama.
Autour de Sarah, d’autres villageois victimes se souviennent, très chagrin! Des blessés et rescapés de la colline Nyamure s’étaient joints aux réfugiés de Karama et c’est alors que l’adjudant-chef Biguma, à leur poursuite, aurait lancé une attaque sur Karama. Les assailants sont défaits, un chef milicien tombe, Biguma s’échappe de justesse, laissant derrière lui plusieurs pertes dont un gendarme et un chef milicien tués et un véhicule de la gendarmerie brulé. Les récits et témoignages se recoupent: les assiégés n’auront qu’un jour de répit. Juste le temps pour Biguma de rassembler tous les renforts: des gendarmes et tout leur arsenal d’assaut, des miliciens venus de partout et réfugiés Burundais rôdés à tuer à petit feu.
Pour Me Domitille Philippart, même si monsieur Hategekimana n’est pas jugé expréssément pour ces faits, « la parole des victimes a néanmoins été entendue devant la Cour, puisque les parties civiles étaient constituées depuis l’instruction et que des éléments dans le dossier mentionnent Karama». Ainsi, précise-t-elle, même après ce procès, « il serait possible, en théorie, de déposer une nouvelle plainte contre Monsieur Hategekimana pour les faits de Karama, puisqu’il n’a pas bénéficié de non lieu ou d’acquittement pour ces faits.»
Un nouveau procès pour Karama, pourtant improbable !
Mais si une nouvelle plainte pour Karama est possible, en théorie, quelles sont les chances pour que cela aboutisse à un procès, avec toutes les implications procédurales et budgétaires? Me Domitille ne se fait pas d’illusions. « Il est difficile d’évaluer les chances de succès d’une telle plainte à ce jour, reconnait-elle. En effet, s’il existe déjà dans le dossier des éléments portant sur l’implication de Philippe Hategekimana à Karama, il serait nécessaire de réentendre plusieurs témoins, et parties civiles, d’organiser une remise en situation au Rwanda pour les juges et parties. Mais, reconnait cette avocate du CPCR, « comme Manier est déjà condamné lourdement au terme de ce procès en appel, cela risque de ne pas être un dossier prioritaire pour le Pôle, puisqu’il purgera déjà une longue peine.
Me Richard Gisagara qui a également représenté des parties civiles dans ce procès, ne croit pas non plus à la possibilité d’un autre procès contre Biguma. «Je pense, dit-il, qu’il est très improbable que la justice française puisse faire une autre procédure contre Biguma concernant Karama. Vous savez, il n’y a pas que Karama dans le même cas.» Et d’expliquer qu’Il y a aussi « Nyamiyaga, une colline située en face de Nyabubare sur laquelle une attaque a eu lieu le lendemain de l’attaque de Nyabubare», et dont les victimes n’auront pas été pris en compte.
Même si le maire du district de Nyanza, Erasme Ntazinda, regrette également l’exclusion des crimes commis à Karama des débats et du jugement, il se dit néanmoins satisfait de la peine infligée à Biguma.
Après la condamnation de Biguma en appel, une seule voie de recours reste ouverte: un pourvoi en cassation contre un quelconque vice de procédure. Jusqu’à ce jour, néanmoins, aucune des presonnes déjà condamnées pour génocide contre les Tutsis n’a réussi.à faire annuler ou réduire sa peine.
SEHENE RUVUGIRO Emmanuel