Pour ce huitième procès tenu en France pour génocide des Tutsi, Philippe Hategekimana Manier alias BIGUMA est la neuvième personne jugée coupable et condamnée. Comme tous les autres, il a plaidé non-coupable. Ci-après, les faits marquants de l’affaire.
Le 26 décembre 1956, naissait Philippe Hategekimana, dans l’ancienne commune de Rukondo, l’actuel secteur de Nyagisozi du District de Nyanza (sud du Rwanda)
L ’adjudant chef Philippe Hategekimana est un sous-officier gendarme au Rwanda, dans la région de Nyanza (sud), durant la période du génocide des Tutsis. Il a le rang de commandant adjoint, en charge des resources humaines.
En juillet 1994, il fuit le Rwanda avec sa famille. Ses pérégrinations le font passer par le Zaïre (RDC), puis le Congo-Brazzaville, la République centrafricaine et le Cameroun. Au cours de ce long voyage vers l’exil, il changea plusieurs fois d’identité. Ainsi au Zaïre, il s’appelait Hakizimana Philippe.
En 1999, il arrive en France et est domicilié dans la région de Rennes en Bretagne
En en 2005, il est naturalisé français sous le nom de Philippe Manier
En 2015, le Collectif des Parties Civiles pour Rwanda (CPCR) porte plainte contre lui pour sa participation au génocide des Tutsis de 1994.
En 2017, il quitte la France pour le Cameroun sous prétexte d’aller rendre visite à sa fille qui y réside.
Interpellé fin mars 2018 à Yaoundé et extradé un an plus tard, il est mis en examen le 15 février 2019 et placé en détention provisoire.
En première instance, l’affaire a débuté le 10 mai et s’est terminée le 28 juin 2023. Elle a réuni une centaine de témoins. Il nie tout. Il a un alibi: il n’était pas a Nyanza pendant le génocide. La cour d’assises le juge coupable et le condamne à la réclusion criminelle à perpétuité.
En appel, les débats commencent le 04 novembre et le verdict tombe le 18 décembre à 00h45. La cour confirme la réclusion criminelle à perpétuité.
Des Chefs d’accusations
Il est poursuivi pour Génocide, Crimes contre l’humanité, et le crime de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation des crimes de génocide et autres crimes contre l’humanité
Par son arrêt du 28 juin 2023, la cour d’assises de Paris l’a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour une majorité de ces faits. Il a cependant été acquitté pour les faits commis au préjudice d’un groupe de Tutsis à la barrière de Bugaba (poursuivis sous la qualification de génocide et de crime contre l’humanité) et pour le crime de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation des crimes de génocide et autres crimes contre l’humanité.
Il fait appel de tous les crimes pour lesquels il a été reconnu coupable
L’audience en appel a débuté le 4 novembre 2024 à 10h et se tiendra jusqu’au 20 décembre 2024, en salle Georges Vedel, à la Cour d’appel sur l’île de la Cité. Elle se tiendra 5 jours par semaine (du lundi au vendredi) et débute chaque jour à compter de 9 heures.
Pour ce procès en appel, 66 témoins ont été cités devant la cour d’assises.
De la composition de la cour
La cour d’assises est composée de trois magistrats professionnels (1 président et 2 assesseurs) et neuf jurés. Neuf autres jurés supplémentaires sont tirés au sort.
L’accusation est représentée par deux avocats généraux.
Sa défense, assurée par Mes Emmanuel Altit, Alexis Guedj et Fabio Lhote
Quarante parties civiles, dont le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR), la Licra, IBUKA et des rescapés ou proches de victimes, se sont constituées dans ce dossier.
Crimes et Faits incriminés :
1. Génocide
•La mort de Narcisse Nyagasaza, Pierre Nyakarashi et Emmanuel Nsengimana
* Le massacre de Nyabubare (Rwabicuma), et Nyamure (Muyira)
* Le meurtre de 28 Tutsis tombés sur le barrage routier de l’ AKAZU K’AMAZI
* Le massacre des Tutsis morts à l’ISAR Songa, dont la famille de Philippe Ndayisaba
* La mise en place des barrages routiers de Nyanza, Rwesero et Mushirangu et l’incitation des Interahamwe qui s’y trouvaient à tuer les Tutsis
2. Crimes contre l’humanité
* La mort de Narcisse Nyagasaza, Pierre Nyakarashi et Emmanuel Nsengimana
* Le massacre de Nyabubare (Rwabicuma), et Nyamure (Muyira)
* Le meurtre de 28 Tutsis tombés sur le barrage routier de l’ AKAZU K’AMAZI
* Le massacre des Tutsis morts à l’ISAR Songa, dont la famille de Philippe Ndayisaba
* La mise en place des barrages routiers de Nyanza, Rwesero et Mushirangu et l’incitation des Interahamwe qui s’y trouvaient à tuer les Tutsis
3. Participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation des crimes de génocide et autres crimes contre l’humanité.
* Participer, préparer et animer des réunions visant à organiser et coordonner les activités du massacre des Tutsis
Le procès en appel
Il a fait appel de tous les crimes pour lesquels il a été reconnu coupable
Le procès en appel a débuté le 04/11/2024 et se termine le 18/12/2024
Au cours de la première semaine, le profil de l’accusé est examiné et des témoins experts sont entendus (témoins experts et témoins de contexte).
Depuis la deuxième semaine, ont lieu les auditions des témoins à charge et à décharge, notamment des survivants, les détenus pour génocide, ceux qui ont purgé leur peine, et ceux qui ont travaillé avec Biguma à la gendarmerie, des témoins de moralité.
L’absence de sa femme et de ses enfants parmi les témoins a été très remarquée. Aussi son dernier mot, prononce a la cloture de son process ressemble-t-il, sans equivoque, a celui d’un homme desespere. «Aujourd’hui, dit-il, je suis un homme brisé. Brisé car innocent de ce dont on m’accuse. Ma famille est détruite, ma vie est ruinée.»
Il s’en est suivi
De sa ligne de défense
Depuis le début de son procès, au premier degré, il nie tout. En appel, il campe toujours sur sa position. Son alibi? Dès le début des massacres dans la région de Nyanza, dans la seconde quinzaine d’avril 1994, il aurait été muté à Kigali, à l’État-major de la gendarmerie, à la protection rapprochée du colonel Laurent Rutayisire.
Il affirme ainsi avoir quitté Nyanza vers le 17-18 avril 1994 pour rejoindre le camp de Kacyiru à Kigali, sur ordre de Birikunzira. Il nie ainsi toute implication dans les massacres ayant suivi son depart.
Pourquoi est-il alors poursuivi? Pourquoi toutes ces les déclarations accablantes des témoins? Pour lui, il est poursuivi parce que c’est un opposant au gouvernement du Rwanda, et tous ces témoins sont instrumentalisés par le Rwanda aux fins de l’accuser faussement.
Le verdict
Mercredi 18 Décembre, à minuit passé de 45 minutes, au terme de 30 jours d’audience, plus de 260 heures de débats et plus de douze heures de délibéré, avec 66 témoins et parties civiles entendus, le jury reconnait M. Philippe Hategekimana Manier, alias Biguma, coupable de « quasiment tous les chefs d’accusation »: « génocide », « crimes contre l’humanité », « complicité de crimes contre l’humanité » à travers les massacres des collines Nyabubare et Nyamure, le meurtre de plusieurs personnes dont le bourgmestre Nyagasaza et l‘érection de barrages routiers à Nyanza et ses périphéries. Il est par ailleurs acquitté d’avoir lui-même participé à des réunions en vue de commettre des crimes de génocide et crimes contre l’humanité.
Voies de recours
Après cet étape d’appel devant la cour d’assises, le condamné n’a qu’une seule voie de recours: un pourvoi en cassation contre d’éventuels vices de procédure. Pour ces procès liés au génocide des Tutsi, en tout cas, aucun des huit personnes condamnées avant Biguma n’a jusqu’ici réussi à faire annuler sa condamnation devant la Cour de Cassation.
SEHENE RUVUGIRO Emmanuel